Comment définir une diva ? La diva incarne une personnalité ambiguë, tantôt vénérée et admirée par sa prestance et son génie artistique, tantôt malmenée par son caractère parfois exigeant. À l’Institut du monde arabe à Paris, la nouvelle exposition Divas. D’Oum Kalthoum à Dalida expose les trajectoires brillantes, sulfureuses, poétiques et parfois tragiques de ces divas arabes, icônes du XXe siècle. Plongée dans le monde étincelant et tumultueux de ces femmes…

DES PRÉMICES…

L’exposition s’ouvre sur la présentation de l’ébullition intellectuelle et artistique du monde arabe des années 20, qui va de pair avec un renouveau politique et sociétal nommé la Nahda, ou renaissance intellectuelle, qui s’épanouit tout particulièrement en Égypte. Le Caire est alors au cœur de cette effervescence cosmopolite, et constitue le point d’ancrage d’un nouveau vent de liberté et de revendications ; les regroupements littéraires et artistiques ainsi que les salles de cinéma, de concert, et les cabarets se multiplient. 

Dans ce contexte, la place des femmes dans la société est remise en question, et la lutte pour leur émancipation devient alors un moteur de créativité. Ces pionnières sont en effet à l’origine de l’émergence de nouvelles pratiques artistiques, et ce sont elles qui permettent l’avènement des divas à partir des années 40, reconnues et admirées tant par le public masculin que féminin.

Parmi ces femmes avant-gardistes, Ceza Nabaraoui (1897-1985) devient la rédactrice en chef de la revue féministe et artistique L’Égyptienne, et fonde avec Hoda Chaaraoui (1879-1947) l’Union féministe égyptienne pour la défense des droits des femmes en 1923.

La scénographie de l’exposition et la reconstitution de décors nous plongent ainsi dans l’ambiance tamisée de ces salons littéraires et des premières salles de cinéma, tandis que des photographies de l’époque nous laissent imaginer l’atmosphère de ces nouveaux lieux de chant et de danse que sont les casinos, à l’image du fameux Casino Badia fondé par Badia Massabni (1892-1974) au cœur du Caire.

ZOOM SUR…  l’actrice et productrice Assia Dagher (1908-1986). D’origine libanaise et naturalisée égyptienne, elle est une véritable pionnière du cinéma égyptien. Après avoir créé en 1929 la première société de production cinématographique du pays, Lotus Films, elle produit une dizaine de films, tels que “Cherchez la femme” (1939) dans lequel elle joue, “Ruda Kalbi” (1957), premier film égyptien en couleur et en CinemaScope, ou encore le célèbre “Saladin” de Youssef Chahine, sorti en 1963. Elle offre également de grands rôles à l’actrice Faten Hamama (1931-2015), star du cinéma égyptien des années 50 et 70, et découvre la future diva Sabah.


… AU SHOW !

Le visiteur avance alors à la rencontre de “l’âge d’or” des divas, des années 40 à 70, avec la mise en scène des quatre grandes icônes de la musique et du cinéma arabe que sont Oum Kalthoum surnommée l’Astre de l’Orient, Warda, Asmahan et Fayrouz. L’industrie musicale bat alors son plein, aidée par la radio égyptienne qui diffuse dans tout le monde arabe leurs chansons. Véritables ambassadrices de l’identité arabe, elles incarnent en dépit de leurs parcours et origines différentes tantôt la liberté, l’amour, la mélancolie ou encore l’exil, et mènent leur public jusqu’au tarab, l’extase musicale.

Dans le parcours d’exposition, chacune possède une loge privée dominée par une couleur précise qui retranscrit l’univers, la personnalité et l’aura propre à la diva. Ces loges révèlent à la fois la puissance de chacune, mais également leur intimité, et nous font découvrir des photographies, des affiches ou des extraits musicaux illustrant les grands moments de leur carrière, ainsi que des parures, robes ou objets personnels de ces femmes. 

ZOOM SUR… la chanteuse Warda (1939-2012). Dans les coulisses d’une loge teintée de violet, couleur évoquant le rêve mais aussi la mélancolie, des pochettes de 33 tours et des portraits de la divine Warda, à la plage ou encore sur scène avec ses musiciens, sont exposés. Née à Paris en 1939 d’une mère libanaise et d’un père algérien, Warda El Djazairia (la rose algérienne) commence sa carrière à l’âge de neuf ans dans le cabaret oriental de son père.

Dès ses débuts, Warda témoigne à travers ses chansons de son engagement politique en faveur de l’indépendance de l’Algérie, un engagement qui contraint sa famille à l’exil en 1956. Plus tard installée en Egypte, la beauté de sa voix, la justesse de son intonation, son sens du rythme et les sonorités venues du Maghreb qu’elle intègre à ses chansons lui confèrent très vite le statut de diva.

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ZOOM SUR… la mythique Asmahan (1912-1944). Asmahan, figure au destin tragique, incarne par excellence la liberté et le désir de vivre intensément en dépit des contraintes, qu’elles soient familiales, amoureuses ou encore politiques, deux sentiments chers aux divas. De son vrai nom Amal Al-Atrash, Asmahan “la sublime” naît d’une mère libanaise et d’un père syrien, prince attaché au clan druze des Al-Atrash.

Chanteuse à la voix semblable au chant d’un oiseau, mais également actrice aux côtés de son frère, le grand oudiste et acteur Farid al-Atrash, la princesse se rebelle pendant sa courte vie contre toutes les obligations qui l’entourent. Lorsque la voiture qui la transporte se précipite dans l’eau en 1944, causant ainsi sa mort, toutes les hypothèses sont convoquées et le mystère demeure – simple accident de voiture ? assassinat organisé par un ennemi, par un membre de sa famille, par la femme d’un de ses nombreux amants, voire par Oum Kalthoum, sa grande rivale…? Le mythe autour d’Asmahan est en tout cas encore bien vivant.

Puis, c’est le spectacle et le magnétisme de la nuit qui s’offrent à nous ! Dans une salle sombre aux rideaux brillants, le visiteur est d’un côté ébloui  par un défilé de robes étincelantes, de l’autre émerveillé par un plafond étoilé parsemé d’affiches colorées des films dans lesquels s’illustrent les chanteuses, actrices et danseuses qui, au-delà de leurs performances, rythment désormais la vie mondaine du monde arabe.

C’est tout l’essor du cinéma qui nous est alors montré ; l’Egypte, qui devient le quatrième producteur mondial de films, est encore une fois au cœur de cette effervescence artistique, et est alors surnommée Nilwood, Hollywood sur le Nil. Cette industrie voit émerger les icônes du cinéma de l’époque comme Hind Rostom (1926-2011), la Marilyn de l’Orient, et chanteuses et danseuses deviennent également actrices dans des comédies musicales, à l’image de Layla Mourad (1918-1995).

Parmi ces brillantes figures, certaines dominent le feu des projecteurs – à l’image des deux légendes égyptiennes de la danse orientale, Samia Gamal (1924-1994) et Tahia Carioca (1919-1999), qui popularisent au cinéma cette danse lente et sensuelle. Possédant chacune un style propre, elles introduisent des éléments novateurs pour l’époque, comme des pas de ballet ou de samba – alors appelée carioca – mais aussi des accessoires, tels que des chaussures à talons et des foulards.

Deux autres icônes triomphent dans le chant : la célèbre chanteuse libanaise aux 3500 chansons et aux robes fantaisistes Sabah (1927-2014), qui contribue au rayonnement de la musique libanaise à travers le monde, ainsi que la magistrale Dalida (1933-1987), née au Caire et dont la carrière est lancée par le cinéma, qui enregistre parmi ses plus grands triomphes  “Salama ya Salama” et “Helwa Ya Baladi”, deux titres chantés en arabe au succès retentissant.


L’HÉRITAGE CONTEMPORAIN DES DIVAS

L’influence des divas ne possède ni limite temporelle, ni limite géographique ; leur prestance, leurs personnalités et leur rôle dans l’épanouissement de la culture arabe a traversé les frontières, et marque encore profondément les esprits et les arts d’aujourd’hui. La dernière partie de l’exposition nous plonge au cœur des univers d’artistes contemporains de tous horizons, dont les œuvres sont imprégnées de l’aura et de l’esthétique des divas.

Ainsi, une grande partie de l’œuvre de l’artiste photographe égyptien Youssef Nabil (né en 1972 au Caire) témoigne d’une véritable nostalgie pour l’âge d’or et les vedettes du cinéma égyptien d’antan, avec ses photographies argentiques aux couleurs délavées et leur esthétique orientaliste assumée.

C’est le cas notamment de son projet vidéo intitulé “I saved my belly dancer”, réalisé en 2015 et présenté dans une pièce presque confidentielle de l’exposition dans lequel le visiteur découvre pendant douze minutes la séduisante actrice libano-mexicaine Salma Hayek en danseuse du ventre, ondulant sensuellement face à  l’acteur franco-algérien Tahar Rahim, rêveur.

L’héritage des divas s’étend également au-delà du monde arabe, et s’exprime par exemple à travers le travail de l’artiste plasticienne iranienne Shirin Neshat (née en 1957 à Qazvin). Elle réalise en 2017 le film “Looking For Oum Kulthum” – duquel est tiré l’affiche de l’exposition – en hommage à celle que l’on surnomme la Quatrième Pyramide et dont la fascination dans le monde ne faiblit pas.

L’artiste et illustratrice franco-libanaise Lamia Ziadé (née en 1968 à Beyrouth) a également créé une fabuleuse installation spécialement pour l’exposition. À partir de son magnifique ouvrage Ô nuit Ô mes yeux, publié en 2015 et qui mêle textes et images faisant revivre l’âge d’or des divas, elle en réalise ici une version en trois dimensions, véritable cabinet de curiosité où les vinyles, les tableaux, les dessins et les objets entremêlent leurs couleurs en hommage aux divas.

Le voyage dans l’époustouflant monde des divas s’achève avec le projet musical Love & revenge, créé par La Mirza et Rayess Bek. Projet hybride remixant les grandes chansons de la musique arabe, sur des images de films de l’âge d’or du cinéma égyptien, Love & Revenge crée ainsi des concerts à la fois audio et vidéo. Ici, le groupe a de plus mis en œuvre un hologramme de Samia Gamal esquissant des pas de danse vaporeux, conférant à cette dernière salle un souffle de nostalgie.


NOTRE PLAYLIST « DIVAS »

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Pour en découvrir plus sur ces légendes intemporelles et leurs histoires, n’hésitez pas à aller visiter l’exposition à l’Institut du monde arabe !
Du 19 mai 2021 au 26 septembre 2021
Plus d’infos en cliquant ici

Merci à l’Institut du monde arabe de nous avoir invitées à visiter l’exposition en avant-première !

Crédits photos

Toutes les photographies de cette article sont prises par © Cosmic Mektoob, sauf :
• Image d’illustration de l’article : série photographique “Looking for Umm Kulthum”, 2019. © Shirin Neshat
• Livret du film « Cherchez la femme« , avec Assia Dagher. © Abboudi Bou Jawde
• Pochette de l’album « Warda » de Warda El Djazairia.
• Photographie de Samia Gamal pour le magazine LIFE, lors de sa tournée américaine organisée par son mari Sheppard King en 1952. © Loomis Dean
• Photomontage de Dalida d’après une photographie originale de 1986, avec insertion d’un portrait réalisé en 1954. Montage photographique réalisé par Orlando, 1997. © Productions Orlando
• Image extraite de la vidéo « I saved my belly dancer« . © Youssef Nabil

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