L’omniprésence de couleurs flashy, d’imprimés kitsch et de boîtes de conserves alignées sur les photos de Hassan Hajjaj lui valent d’être surnommé le « maître du pop art marocain ». Installé à Londres depuis les années soixante-dix, l’artiste n’hésite pas à puiser à travers ses racines nord africaines ainsi que dans la culture underground de la capitale anglaise. Son univers artistique traduit ainsi cette volonté de croiser ces deux cultures qui lui sont chères.

Photographe, mais aussi designer et créateur de mode, Hassan Hajjaj prône une invitation permanente à l’ouverture sur le monde, au multiculturalisme, ainsi qu’à la joie de vivre. Que ce soit à travers ses photographies, ses vêtements, ou encore ses meubles, il mélange tous les éléments visuels issus de sa double culture, et pose la question des identités plurielles et de l’hybridité culturelle, loin des étiquettes prédéfinies.

Bien qu’il soit considéré aujourd’hui comme l’une des figures majeures de l’art contemporain marocain, exposant aux quatre coins du monde et collaborant avec de nombreuses personnalités influentes, Hassan Hajjaj est « un artiste qui fabrique du chic à partir du cheap », un Andy « Wahloo »  – qui signifie « je n’ai rien » en arabe –  comme l’avait surnommé le chanteur Rachid Taha. Une appellation par ailleurs appréciée et revendiquée par l’artiste anticonformiste, qui travaille essentiellement avec des objets récupérés et des inconnus croisés dans la rue.

UN ARTISTE AUTODIDACTE & COSMOPOLITE

Né en 1961 à Larache, une ville marocaine de la région de Tanger – Tétouan, Hassan Hajjaj est encore adolescent lorsqu’il part en 1973 pour s’installer avec sa famille à Islington, un quartier du nord de Londres. L’arrivée dans ce nouveau pays n’est pas simple pour le jeune marocain qui, déraciné, est alors confronté au choc culturel, à la pauvreté et aux inégalités.

Il délaisse rapidement l’école, et c’est dans la rue que ses premiers contacts avec l’art se font puisqu’il y découvre le street art, le tag et plus largement les cultures hip-hop et reggae qui sont très présentes dans la capitale cosmopolite britannique. Très vite, ces arts urbains deviennent alors des passions, qui lui font prendre conscience que l’art est un moyen de lier ses deux mondes, celui de son enfance passée au Maroc et de son adolescence en Angleterre.

Londres à cette époque était un véritable bouillon culturel où se côtoyaient Brésiliens, Caribéens, Hindous… ça donnait un méli-mélo incroyable de bossa nova, samba, reggae…

Hassan Hajjaj

C’est à ce moment, dans les années 80, que Hassan se met à la photographie pour documenter cette effervescence, et parallèlement travaille dans le milieu de la mode alternative. En 1984, il fonde R.A.P – acronyme de « Real Artistic People », une boutique de vêtements personnalisés – et affiche déjà son goût pour les influences ethniques, les faux logos de grandes marques qu’il détourne et les objets du quotidien qu’il recycle.

Travaillant aujourd’hui entre Londres et Marrakech, Hassan Hajjaj entreprend de photographier son monde pour, comme il le souligne, « partager quelque chose de cool de [sa] culture tout en montrant que même si on a des cultures et des religions différentes, on partage beaucoup en tant que personnes ».


HUMOUR, ENGAGEMENT & INFLUENCES

L’humour est une des caractéristiques essentielles de l’œuvre de Hassan Hajjaj, qui s’amuse des clichés sur son pays et détourne les grandes marques occidentales. Ainsi, se jouant de l’exotisme et des clichés associés au Maroc par les occidentaux, il nous donne à voir des modèles qui posent en djellabas, hidjabs Louis Vuitton et babouches Nike, le tout encadré par des sodas ainsi que des pots de harissa.

Pourtant, derrière cet univers ludique, il s’agit en réalité de partager son point de vue critique et décomplexé sur la société de consommation, tout en abordant les questions de traditions, de port du voile et des clichés présents autour de la société marocaine.

C’est à Londres que j’ai appris à contourner les clichés, voire à les englober, à les intégrer dans mon art pour mieux les faire mentir.

Hassan Hajjaj

L’une de ses séries photographiques les plus emblématiques n’est autre que «  Kesh Angels », dont le titre s’inspire des gangs des Hells Angels, et Kesh étant le diminutif de Marrakech. Elle présente des motardes voilées, détournant ainsi le stéréotype de la femme orientale. Ces clichés en contre-plongée montrent des femmes imposantes, habillées de vêtements traditionnels, et qui posent, triomphantes et fières sur leur moto en fixant droit l’objectif.

Je comprends qu’on puisse trouver dérangeant que certaines des femmes que je photographie soient voilées, mais regardez comme elles sont modernes et provocantes ! Elles mêlent tradition et mode pop ; je les trouve d’une force et d’une puissance inouïes, absolument  magnifiques.

Hassan Hajjaj

Par ailleurs, les clichés de Hassan Hajjaj aux motifs géométriques et aux jeux de mouvements portent en eux l’héritage des maîtres maliens de la photo. Les portraitistes Malik Sidibé et Seydou Keita, avec leurs célèbres photographies en noir et blanc réalisées en studio, présentaient en effet la culture pop, ainsi que la jeunesse de leurs pays alors en pleine mutation dans les années soixante. Tout comme eux, Hassan documente mais cherche également à montrer une autre facette de son pays, le Maroc.

Seydou Keïta, Sans titre, 1953. Tirage argentique moderne réalisé en 1998. Genève, Contemporary African Art Collection

ÉCLECTISME  INÉPUISABLE

En 2019, la Maison Européenne de la Photographie à Paris a rendu hommage à l’artiste anglo-marocain en présentant la première rétrospective en France de l’artiste, avec plus de trois cent photos mais aussi des vidéos, installations, vêtements ainsi que des objets dérivés.

Artiste éclectique, Hassan Hajjaj a également réalisé en 2015 un long métrage documentaire intitulé « Karima : une journée dans la vie d’une fille au henné », qui a été présenté en première à Los Angeles.

En tant que designer, il a également été sollicité pour faire la décoration d’un bar parisien situé dans le quartier du Marais, qui porte son surnom « Andy Wahloo », une manière de se plonger plus encore dans son univers coloré et ensoleillé, qui font de lui l’un des pionniers du pop art au Maroc.


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