En juin 2020, le groupe Al Qasar sort son premier EP Miraj. Enregistré entre Paris et Los Angeles, mixé à Nashville et porté par une collaboration avec des musiciens égyptiens au Caire, ce premier opus fusionne les genres, du psychédélisme au garage rock et du oud à la guitare électrique.

À l’origine de cette transe musicale, le producteur franco-américain Thomas Attar Bellier, fondateur du groupe.

CRÉATION DU GROUPE

    •    Bonjour Thomas ! Peux-tu nous présenter ton parcours musical personnel ?

J’ai commencé à tourner en Europe et aux USA il y a une dizaine d’années avec Blaak Heat, un groupe de rock psyché que j’ai fondé en 2008 lorsque j’étais étudiant. En 2013, j’ai rejoint Spindrift, un groupe de Los Angeles fondé par des membres du Brian Jonestown Massacre dans les années 90, avec un son “spaghetti western rock” dans la veine d’Ennio Morricone et de la country western “outlaw”.

On a tourné partout aux Etats-Unis, des bars les plus miteux de l’Idaho aux villes fantômes de Californie.

Vers la même période, j’ai commencé à travailler en tant qu’assistant d’un gros producteur de heavy rock à LA, Matt Hyde, qui m’a tout appris en studio. C’est à ce moment que j’ai commencé à mixer et à produire de mon côté et à bosser sur des bandes originales de film, tout en travaillant en parallèle avec Matt Hyde en tant qu’ingé-son et assistant sur des sessions pour des artistes type Deftones, Danzig, Bill Ward… 

    •     Comment est né Al Qasar, et pourquoi ce nom (القصر en arabe, « le palais ») ?

En 2017, j’avais envie de changer d’air. J’étais prêt à lancer un nouveau projet, quelque chose de plus “challenging” en terme d’écriture et surtout avec une perspective sociale et culturelle un peu plus intéressante. Je venais de collaborer avec le poète jordanien-américain Fareed Al Madain sur une track de Blaak Heat, et on avait bien accroché. On s’est donc fixé comme objectif de poser 5 maquettes avec une instrumentation “pop-psyché” orientale et des paroles en arabe classique. Fareed m’a introduit à l’univers de Cheikh Imam et d’Ahmed Fouad Negm, il avait cette envie d’associer l’arabe littéraire à des thèmes socialement et politiquement chargés, comme la corruption, l’oppression des peuples, la drogue, la pauvreté.

À cette période, j’étais dans une phase où tournaient en boucle Googoosh, Zia Atabay, Selda, Ersen, Elias Rahbani… J’étais fasciné par ces sons qui juxtaposent des arrangements très occidentaux et des voix en farsi, turc, arabe… ou encore des batteries Ludwig et des amplis Fender d’un côté, et de l’autre du oud, du kanun, de la darbuka… Le son du groupe s’est beaucoup développé depuis 2017, mais la pop psyché orientale a bien constitué notre point de départ. 

Le nom Al Qasar fait référence aux palais construits par les musulmans sur la péninsule ibérique. À travers cette métaphore architecturale, mon but était de mettre en valeur les processus d’acculturation, qui sont créateurs de profondeur artistique et de renouvellement culturel. On peut penser à la mosquée de Cordoue, une mosquée construite dans une cathédrale construite dans un temple romain.

Dans la musique, la cuisine, la littérature, l’architecture, le langage… tout est acculturation et synthèse, au fil des mouvements et interactions des peuples. Le surf rock et la culture lowrider des années 1950, un élément quand même hyper central de l’esthétique “carte postale californienne”, trouve en fait ses racines dans les influences orientales de Dick Dale, guitariste d’origine libanaise.  

“Authenticité” et “pureté” sont des concepts illusoires, la richesse culturelle réside dans  les échanges et les emprunts.

    •     De qui est composé le groupe ?

De nombreux musiciens tournent autour du projet, avec des horizons et des parcours différents, ce qui fait la force de notre son. Au chant, je suis accompagné de Jaouad El Garouge,  chanteur et musicien gnawa d’Essaouira. Au oud, on travaille avec le “mozart égyptien”, Mohamed Abozekry, et le patron du oud électrique, Mehdi Haddab. A la basse et à la batterie, je suis entouré de Guillaume Théoden et de Paul Void, qui ont un passé hard rock. Aux percussions, le niveau est assez hallucinant avec Amar Chaoui (également de Tinariwen) et Nicolas Derolin

    •     Pouvez-vous nous en dire plus sur la notion d’ « Arabian Fuzz » ?

Je suis un grand adepte des pédales de fuzz pour guitare. Avec quelques réglages et un peu de poudre magique, on arrive à faire sonner la guitare à mi-chemin entre un violon oriental et un mizmar, ou une zurna… À ce titre, c’est une manière de lier au sein du même concept musiques arabes et garage rock psyché. J’ai appelé mon label “The Arabian Fuzz”. 


LA MUSIQUE D’AL QASAR

    •    Comment la langue arabe s’est-elle imposée dans vos compositions ?

La base même du projet était de chanter en arabe classique sur une instrumentation pop rock psychédélique. 

    •     Le métissage et les paroles engagées sont au cœur de votre musique. Pourriez-vous nous dire de quoi parlent vos textes, et quelles sont les ambitions du groupe ?

Les valeurs qu’on défend émanent de notre quotidien, au sein du groupe : nous sommes un groupe multiculturel, multiracial, multinational…. On tend naturellement vers des thèmes comme la corruption, l’oppression, les droits des femmes, la place de réfugiés, la pauvreté, les addictions. On cherche à les évoquer pour ouvrir le débat, pour inciter à la réflexion. Mais on reste assez subtiles dans l’expression de ces thèmes, qu’on évoque grâce à des petites histoires, à des métaphores, à de l’humour.

D’une certaine manière, on souhaite également se proposer comme porte-voix de nos amis et collègues qui n’ont pas nécessairement les moyens ni le droit de s’exprimer. Les expériences de nos amis en Egypte, au Maroc, en Syrie nourrissent notre créativité. 

    •    Quels sont les instruments qui font l’identité sonore d’Al Qasar ?

La rencontre entre le oud acoustique et la guitare électrique est assez fondamentale à notre son. Tout comme les batteries “heavy” d’un côté, et les percussions orientales de l’autres (daf, darbuka, riq, bendir…). 

    •     Le chanteur d’Al Qasar, Jaouad El Garouge, est issu de la tradition gnawa, et vous avez collaboré en Egypte avec des musiciens adeptes du zar, rituel de danse ancestral. Quelle place occupe la transe et le mysticisme dans votre conception de la musique ?

Le rock psyché a une ambition d’hypnotiser l’auditeur pour l’emmener autrepart, vers davantage de sagesse, de connaissance et de tolérance. N’oublions pas que ce style naît au moment où l’occident découvre les drogues hallucinogènes ancestrales, comme la psylocibine ou le peyote. Dans cette perspective d’ouvrir les “portes de la perception”, il se rapproche du gnawa et du zar, qui cherche à provoquer la transe chez l’auditeur pour que ce dernier puisse entrer en communication avec ses esprits.

À l’échelle d’Al Qasar, on partage cet objectif, avec bien sûr une ambition moins religieuse. Mais les rythmes et les grooves sont centraux dans notre processus d’écriture et d’arrangement. Ca doit groover un max et être hypnotique, ça doit donner envie de fermer les yeux et de se bouger, comme dans le zar et le gnawa où les rythmes sont utilisés en tant que moyens de provoquer la transe. 


INFLUENCES ET CRÉATION

    •    L’influence des années 70 et du rock psychédélique est très présente dans votre musique  ; quels sont les artistes de cette époque qui vous inspirent, tant musicalement que visuellement?

J’en ai mentionné quelques-uns plus haut, mais en termes de rencontre entre orient et l’occident, la période a été très fructueuse. On peut parler de l’album Hard Rock From The Middle East de The Devil’s Anvil, fondé par un membre de Mountain et qui regroupe des musiciens arabes habitants à New York. La pochette parle d’elle même : un oud, un bouzouki électrique, des amplis, un habit de bédouin…

Le guitariste Omar Khorshid en Egypte également, qui “orientalise” la guitare électrique jusque dans les plus hautes sphères de la musique orientale – Khorshid jouera notamment avec Abdel Halim. Ca ne s’appelle pas du rock psyché, mais on est clairement dans le “tarab”, la transe profane provoquée par la musique populaire. 

    •     Le Caire et l’Égypte semblent avoir été très importants dans votre processus de création ; pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Al Qasar a été invité à jouer dans le cadre d’un festival au Caire en 2018, dans le centre historique de la ville, à côté de la Mosquée Al-Azhar. Il y avait plus de 6 000 personnes, surtout des jeunes, qui reprenaient en cœur nos refrains… C’était hallucinant, sachant qu’on avait à cette époque à peine sorti deux singles. On savait que, culturellement, on touchait quelque chose du doigt, qu’on trouvait notre public – un public qui voulait faire la fête sur du gros rock, avec des paroles qui n’ont pas peur de dire les choses.

Nous avons fait de magnifiques rencontres ce weekend là, ce qui a mené à une deuxième invitation un an plus tard pour aller enregistrer et collaborer avec des musiciens du zar. Cette deuxième fois, j’ai passé plusieurs semaines au Caire, pour prendre le temps de me fondre dans la routine de la ville et dans le quotidien des musiciens, et de développer de nouvelles amitiés. Ca a été l’occasion de sentir un peu l’état d’esprit post-révolution, d’en discuter avec des gens qui étaient actifs entre 2011 et 2013. J’ai également eu l’énorme honneur de collaborer avec Dina El Wedidi, avec qui j’ai sorti le single Hila Hila en juillet dernier. 

    •     L’un des morceaux de l’EP, Dance of Maria, est une reprise du très renommé compositeur libanais Elias Rahbani. Que symbolise pour vous cette reprise ?

L’idée était, sur ce premier EP, de rendre hommage à un des morceaux ayant directement inspiré la naissance d’Al Qasar. Avant la sortie de l’EP, j’ai envoyé notre version de Dance Of Maria à Abdallah Chahine Jr, dernier de la lignée Chahine, qui gère le catalogue légendaire de La Voix de l’Orient, à Beyrouth. Il m’a dit qu’il l’avait fait écouter au big boss -Elias Rahbani- qui l’a approuvée. Ca fait plaisir. 


POUR FINIR…

    •    Quel sentiment aimeriez-vous provoquer chez les personnes qui écoutent votre musique?

J’aimerais les aider à aller chercher une force intérieure, qui peut à terme trouver une expression politique ou culturelle concrète. 

    •    Concernant Miraj, quel est votre chanson préférée et pourquoi ?

C’est comme demander à un parent quel est son enfant préféré… impossible ! Elles sont toutes uniques en elles-mêmes, ont chacune eu un historique et un processus de maturation différent. 

    •    Quel artiste a réalisé la pochette et les visuels de l’EP ? Quelles étaient vos envies ? Les couleurs vives, l’esprit rock et la femme voilée sur la moto font notamment beaucoup penser au travail du photographe marocain Hassan Hajjaj, à qui nous avons consacré un article.

La pochette a été réalisée par Abdelwaheb Didi, le photographe de mode franco-algérien, qui, comme moi, a un gros passif rock psychédélique. On a réfléchi ensemble à cette pochette, qu’on a voulu inspirée par deux photographes maliens actifs dans les années 1950-1960 (et qui ont de toute évidence beaucoup influencé Hassan Hajjaj), Malick Sidibé et Seydou Keïta.

On avait bien sûr connaissance du travail de Hassan, qui avait par ailleurs déjà photographié Jaouad El Garouge quelques année auparavant. 

    •    Quels sont les groupes ou artistes actuels qui vous inspirent et que vous aimeriez nous faire découvrir ?

En groupes actuels, je conseille DAM, le groupe de hip hop palestinien, ou encore 47 Soul, groupe palestinien-jordanie). En psyché, il faut bien sûr aller checker Gaye Su Akyol et BabaZula, d’Istanbul, ou encore Dudu Tassa en Israël.

J’écoute beaucoup O Gajo en ce moment, un joueur portugais de “viola campaniça” (une guitare traditionnelle de la région de l’Alentejo) avec qui je collabore, ou encore Dead Combo, un duo de Lisbonne (mais qui vient tout juste de mettre la clef sous la porte).

Et je n’ai de cesse de prêcher le gospel de Dina El Wedidi, chanteuse et musicienne cairote qui cartonne depuis la révolution, avec un style hyper personnel. 


DANS L’ESPRIT DE THOMAS ATTAR BELLIER

Des œuvres, des idées et des mots qui inspirent

Un film ? Oliver Laxe, Mimosas : La Voie de l’Atlas

Un livre ? Alaa El Aswany, L’Immeuble Yacoubian

Un tableau – un artiste ? Les pochettes afro-futuristes de Tokio Aoyama

Une chanson ? Nai Bonnet, The Seventh Veil

Une photo ? Les manifestants en mai/juin 2020 aux Etats-Unis, un genou au sol devant la police anti-émeute

Un plat ? Le Mole negro, un plat pré-colombien de la région de Oaxaca

Un mot ? Tarab طرب

Un lieu ? La place du village, sous l’arbre, à côté de la fontaine (dans tous les pays du monde) 

Un instrument ? Le saz électrique

PLAYLIST

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CONCOURS

Rendez-vous sur notre page Instagram pour tenter de gagner un vinyle d’Al Qasar ! [Fin du concours dimanche 1er novembre 2020]

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