L’automne est la dernière saison

Pour octobre, un roman qui parle d’automne ; non comme cadre temporel, mais comme climat existentiel – l’automne du rêve, de l’espoir, et de l’amour. L’automne est la dernière saison, car il n’y a pas de lendemain, pas ici – et à la lecture de ce roman, on assiste au crépuscule d’une jeunesse qui s’accroche à ses rêves et cherche un ailleurs, choisit la déchirure pour surmonter le déclin

L’automne est la dernière saison est le récit troublant d’une génération marquée par l’émigration en masse. La fuite des cerveaux prend chair, partir impose son envergure vertigineuse. Dans un décor ordinaire, intime, quotidien, la jeune autrice déjà très reconnue en Iran nous dit la triste poésie du départ

Nasim Marashi connaît bien son sujet ; ingénieure en mécanique puis journaliste, elle expose les contradictions et le désarroi d’une élite instruite et occidentalisée, modelée par l’uniformisation culturelle propre aux universités de la capitale. Bien que d’origines socio-culturelles différentes, ces jeunes diplômés ont désormais accès à des rêves et à des opportunités qui brisent le cours de leurs vies. Pris au dépourvus, les personnages luttent contre des fantômes, qui représentent bien plus que leur destin individuel.

 Rares sont les œuvres contemporaines qui parviennent à toucher à la fois le lectorat dit “de l’intérieur”, la diaspora, et le lectorat étranger. Le thème du roman est certainement un atout, mais Marashi mobilise subtilement des éléments historiques qui jouent avec les souvenirs de celle ou celui qui sait lire entre les lignes. Les personnages du récit sont quatre jeunes de la décennie des soixante, équivalent des années quatre-vingt du calendrier grégorien. La génération brûlée est le nom qu’on donne à ces enfants nés au lendemain de la révolution islamique, ayant connu les huit années de guerre contre l’Irak, et une répression politique féroce. Cette décennie noire fut suivie d’une période de reconstruction et d’ouverture sociale unique et sans précédent dans les années quatre-vingt dix ; ouverture qui conduit notamment à une grande mixité sociale au sein des universités, lieu de rencontre de ce groupe d’amis.

La photographie donnée par Marashi est à entendre au prisme des bouleversements socio-politiques qui auront façonné non seulement l’évolution des personnages eux-mêmes, mais le déroulement de leurs relations et de leurs rencontres. Au travers des amitiés et des amours de cet échantillon de la classe moyenne iranienne se tissent les tensions qui, capturées à leurs prémisses par Marashi, n’ont fait que croître. Rester ou partir, fuir ou combattre, construire ou détruire, rupture ou continuité, sont les dualités qui secouent et fracturent la société iranienne, plus vivement encore depuis les évènements de 2022, comme on le sait. 

Il semble important de préciser que ce roman, publié en 2018, a eu une répercussion remarquable en Iran. Lauréat d’un prix littéraire important, il est devenu un classique de la littérature contemporaine, comme en témoignent les multiples réimpressions. Ce premier roman a donc rapidement imposé Marashi en autrice emblématique et incontournable de sa génération

Également brillante nouvelliste, on peut lire en français l’une de ses nouvelles, d’une sensibilité rare,  en clôture de l’anthologie Amours Persanes. (Gallimard, 2021)

Il nous tient à coeur de remercier les éditions Zulma, parmi les premiers éditeurs français à s’intéresser à la littérature persanophone contemporaine. La traduction est de Christophe Balaÿ, traducteur notoire et figure universitaire majeure des études persanes en France.


Un article écrit par Sepideh Nikoukar

Sepideh Nikoukar est une musicienne iranienne, née à Paris. Ayant grandi à Téhéran, elle partage son adolescence entre ces deux capitales. Dans une vie parallèle, Sepideh aimerait se consacrer à son premier amour : la littérature. La pratique de la traduction et des expériences en édition l’ont sensibilisée aux aspects politiques de la représentation des langues et des littératures, en particulier dans le champ éditorial français. Par la traduction, le compte rendu littéraire et la critique, elle souhaite donc partager les lectures qui l’ont marquée. Elle se concentre sur le proche-orient, en particulier l’espace persanophone, qu’elle a également étudié de manière plus académique dans le cadre d’une licence de persan et d’arabe littéraire à l’Inalco.

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